Call for Papers
"French Phenomenology and Metaphysics" - Phainomenon 35, 2023
Call for Papers - Until October 31st
For some years now, French phenomenology has been giving a prominent and explicit place to metaphysics. To a large extent, this centrality and this emphasis constitute a new and remarkable situation, of which this issue of Phainomenon would like to give an account. We would like to know why a metaphysical concern animates today a good part of French phenomenologists. Whereas it was the task of phenomenological reduction, as instituted by Husserl, to neutralize the metaphysical question of the thing-in-itself and to turn one's back on any investigation of the ultimate structure of reality, it has become common to see authors deliberately associating phenomenology with the quest for an absolute foundation of experience. As Renaud Barbaras recently declared, "the characteristic of phenomenology is [...] to envelop in its heart, as its deepest condition, dimensions that belong to what we call ontology or metaphysics" (Dynamique de la manifestation, p. 8-9).
Four reasons at least seem to us to justify this situation. The first two are internal to phenomenology and sometimes touch the very heart of its project; the last two, on the contrary, come from elsewhere in the form of external stimuli or provocations to which some phenomenologists are summoned to answer. First of all, there is the remanence of a theological preoccupation in certain authors who are far from being minor: Levinas, Henry, Chrétien, and Marion. In these phenomenologists, as in those who follow them today on this ground, the theological polarization of the discourse induces quite naturally a metaphysical practice (in the sense of "special metaphysics") of phenomenology. The welcome given to the divine absolute leads to the inflation of certain experiences, such as those of the Other, of Life, of the Call, or of the Given. There is also the equally insistent ontological concern. The exhibition of the a priori structure of the experience leads spontaneously to the search for first principles, to a "course to the original or to the archi-original" (F.-D. Sebbah) which attracts a good part of the current phenomenological research. Concepts like those of "Ereignis" or "Event" (Heidegger, and today Romano), of Flesh (Merleau-Ponty), of "Arch-movement" or "Arch-event" (Barbaras) are clearly related to a metaphysics called "general."
But French phenomenology today has two other reasons, quite different, to feel concerned by metaphysics. It is no longer a question of calling itself metaphysics but rather of answering metaphysical questions that are put to it by non-phenomenologists. This is how the current known as "analytic metaphysics" is currently re-launching the reflection around notions such as substance and essence, identity and difference, and necessity and possibility. For phenomenologists like Claude Romano or, more recently, Julien Farges, it is the occasion to come back to Husserl's formal ontology or even to Heidegger's existentialized ontology and to have discussions on these issues. If, on the analytic side, the metaphysical discourse on the ultimate categories of being is informed by logic and semantics but also by the positive sciences, it is the occasion for the phenomenologists to produce a different attestation, this time coming from experience, linguistic or perceptive. Finally, the rise of the "speculative realism" current (Q. Meillassoux, G. Harman, R. Brassier) represents an incentive that, even if far from the analytic movement, goes in the same direction. For by reflecting on the pre-Kantian (or premodern) donation of a being beyond the phenomenon, by asking that what there is beyond thought be thought again, this current implicitly summons phenomenology to explain itself on the inaugural prohibition to go and see on the side of reality in itself. This is how the question of realism, with the metaphysical core of the thing-in-itself at its center, has been in the spotlight for a few years among certain phenomenologists (for example J. Benoist).
All French phenomenology, far from it, is not or does not call itself metaphysics. Metaphysics is, of course, only one of the possible interests of a much larger and more varied movement of thought. But for the four reasons we have said, this phenomenology is very often in relation, close or distant, with metaphysics. Without going so far as to speak of a "metaphysical turn" of French phenomenology, we would like to question this new link, with its deep motivations, as a significant way of entry into current French phenomenology.
"Phénomenologie française et métaphysique"
Appel à projet - 31 octobre
La phénoménologie française depuis quelques années fait une place de choix et d’évidence à la
métaphysique. Dans une large mesure, cette centralité et cette mise en avant constituent une
situation nouvelle et remarquable, dont ce numéro de Phainomenon aimerait rendre compte. Nous
aimerions savoir pourquoi une préoccupation métaphysique anime aujourd’hui une bonne partie des
phénoménologues français. Alors qu’il appartenait à la réduction phénoménologique, telle que l’avait
instituée Husserl, de neutraliser la question métaphysique de la chose en soi et de tourner le dos à
toute investigation sur la structure dernière de la réalité, il est devenu courant de voir des auteurs
associer délibérément la phénoménologie à la quête d’un fondement absolu de l’expérience. Comme
le déclarait récemment Renaud Barbaras, « le propre de la phénoménologie est […] d’envelopper en
son cœur, au titre de sa condition la plus profonde, des dimensions qui ressortissent à ce que l’on
nomme ontologie ou métaphysique » (Dynamique de la manifestation, p. 8-9).
Quatre raisons au moins nous semblent pouvoir justifier cette situation. Les deux premières sont
internes à la phénoménologie et touchent parfois au cœur même de son projet ; les deux dernières
au contraire lui viennent d’ailleurs, sous la forme de stimulations ou de provocations externes
auxquelles certains phénoménologues se voient sommés de répondre. Il y a d’abord la rémanence
d’une préoccupation théologique chez certains auteurs qui sont loin d’être mineurs : Levinas, Henry,
Chrétien, Marion. Chez ces phénoménologues, comme chez ceux qui les suivent aujourd’hui sur ce
terrain, la polarisation théologique du discours induit tout naturellement une pratique métaphysique
(au sens de la « métaphysique spéciale ») de la phénoménologie. L’accueil fait à l’absolu divin
entraîne chez eux l’inflation de certaines expériences comme celles d’Autrui, de la Vie, de l’Appel ou
encore du Donné. Il y a par ailleurs, également insistante, la préoccupation ontologique. L’exhibition
de la structure a priori de l’expérience débouche spontanément sur la recherche de principes
premiers, sur une « course à l’originaire ou à l’archi-originaire » (F.-D. Sebbah) qui aimante une
bonne partie des recherches phénoménologiques actuelles. Des concepts comme ceux d’« Ereignis »
ou d’« Événement » (Heidegger, et aujourd’hui Romano), de Chair (Merleau-Ponty), d’« Archi-
mouvement » ou d’« Archi-événement » (Barbaras) s’apparentent clairement à une métaphysique
dite « générale ».
Mais la phénoménologie française a aujourd’hui deux autres raisons, bien différentes, de se sentir
concernée par la métaphysique. Il n’est plus question ici de se dire métaphysique, mais plutôt de
répondre à des questions métaphysiques qui lui sont posées par des non-phénoménologues. C’est
ainsi que le courant dit de la « métaphysique analytique » relance actuellement la réflexion autour de
notions comme celles de substance et d’essence, d’identité et de différence, de nécessité et de
possibilité. Pour des phénoménologues comme Claude Romano ou plus récemment Julien Farges,
c’est l’occasion de revenir sur l’ontologie formelle de Husserl, voire sur l’ontologie existentialisée de
Heidegger, et de discuter. Si du côté analytique le discours métaphysique sur les catégories ultimes
de l’être se laisse informer par la logique et la sémantique, mais également par les sciences positives,
c’est l’occasion pour les phénoménologues de produire une attestation différente, issue cette fois de
l’expérience, langagière ou perceptive. Enfin la montée en puissance depuis quelques années du
courant du « réalisme spéculatif » (Q. Meillassoux, G. Harman, R. Brassier) représente une incitation
qui, même si éloignée du mouvement analytique, va dans le même sens. Car en réfléchissant sur la donation prékantienne (ou prémoderne) d’un être au-delà du phénomène, en demandant que soit à nouveau pensé ce qu’il y a au-delà de la pensée, ce courant somme implicitement la phénoménologie de s’expliquer sur l’interdit inaugural d’aller y voir du côté d’un réel en soi. C’est ainsi que la question du réalisme, avec en son centre le noyau métaphysique de la chose en soi, est à l’honneur depuis quelques années chez certains phénoménologues (par exemple J. Benoist). Toute la phénoménologie française, loin s’en faut, n’est pas ou ne se dit pas métaphysique. La métaphysique n’est bien sûr que l’une des préoccupations possibles d’un mouvement de pensée beaucoup plus vaste et varié. Mais pour les quatre raisons qu’on a dites, cette phénoménologie est bien souvent en rapport, étroit ou lointain, avec la métaphysique. Sans aller jusqu’à parler d’un « tournant métaphysique » de la phénoménologie française, on aimerait interroger ce lien nouveau, avec ses motivations profondes, comme une voie d’entrée significative vers la phénoménologie française actuelle.